Madame la Directrice,
Je vous prie de bien vouloir lire
attentivement les pages suivantes. Cela peut vous paraître surprenant, mais
ces 7 pages sont le fruit, à la mesure de mon chagrin, d'une analyse objective
de ce qui se passe entre Mademoiselle Denys la maîtresse de CP et mon fils,
Anthony Stabile.
Ce récit relate, de manière très détaillée, exhaustive et honnête les faits.
Si ma démarche vous paraît brutale
et amère, je vous
prie de m'en excuser, je souhaite surtout être claire et ne laisser place
à aucun quiproquo. Je suis entière et émotive, maintenant heurtée, j'ai préféré
l'écriture me permettant de rapporter des agissements et sentiments dans leur
globalité, et loin de moi l'intention de vous heurter.
Il est bien entendu que je ne remets pas en cause les raisons de mon choix
pour Notre Dame de la Tramontane, car il n'est question, dans ma requête,
que de grandeur d'âme, d'amour, de compréhension et de pardon, pas de compétences
professionnelles.
Je regrette de devoir me plaindre
ainsi, mais je suis très déçue et peinée par la conduite, l'absence d'objectivité
et de psychologie de la part d'une de vos enseignantes, et inquiète des conséquences
sur la scolarité de mon fils..
Je préfère, dans l'intérêt de mon enfant et par référence à ma spiritualité,
ignorer l'agressivité et le manque de courtoisie dont elle fait preuve à mon
égard, ma priorité est l'avenir scolaire d'Anthony, son bien-être et le maintien
de son goût d'étudier. La soif de connaissance a été mon alliée durant mon
enfance isolée, certainement grâce aux sœurs et enseignants de votre établissement
d'autrefois et c'est aujourd'hui plus qu'une profession, c'est une passion.
Anthony ne doit pas être privé de ce bonheur, de cette richesse par erreur.
Il n'est pas indigne de considération parce qu'il est perturbé et ne plait
pas.
Je souhaite simplement et clairement
aboutir à une solution rapide et efficace, avant qu'Anthony, incompris et
écarté ainsi, par mépris et méprise, soit définitivement renfermé sur lui-même
et n'envisage plus la joie d'apprendre.
Il serait bon et sain que son institutrice apprenne à se contrôler, mieux
apprécier tous les aspects de son travail, et agisse équitablement avec tous
ses élèves, matures ou pas, forts ou sensibles. Mademoiselle Denys ne désire
pas s'interroger sur les réactions désarmantes et agaçantes (mais certainement
pas uniques) d'un de ses élèves : Anthony réagit ainsi parce qu'il est blessé,
profondément bouleversé et mis à l'écart. Réaction banale. C'est aisé à comprendre,
il suffit de s'en donner la peine. L'amour de son prochain et la passion de
son métier l'y aideraient.
De mon coté, je mets tout en œuvre
pour tenter de raisonner et apaiser mon fils, dans notre intérêt à tous. Je
lui fait la morale chaque jour et attends de lui une conduite appréciable
dès qu'il sera correctement réintégré et confiant. Des mesures répressives
ont déjà été mises à exécution (privation de TV et autres jeux vidéo…)
Je ne souhaite pas alimenter les discordes entre Mademoiselle Denys et moi,
bien que j'ignore pourquoi elle agit de la sorte avec moi, et préfère rompre
tout contact verbal pour un temps. Il n'est souhaitable ni d'attiser l'opinion
négative qu'elle a de ce petit garçon trop sensible à son goût, ni question
de le favoriser ou excuser Anthony, simplement l'étudier et l'estimer. Il
mérite d'évoluer dans une ambiance studieuse et chaleureuse à l'école. L'incompréhension
et l'exclusion n'ont pas place dans une classe de CP.
Je reste vigilante aux réactions
de part et d'autre.
Je m'en remets à votre bienveillance, me soumets à votre autorité pour arbitrer
ce différent quant à l'ambiance néfaste qu'ils subissent et activent tous
deux, c'est déterminant pour l'avenir de l'élève que j'ai confié à votre structure,
mon fils unique Anthony.
Je vous renouvelle mes regrets de devoir en arriver à réclamer de la générosité d'âme, mais je suis une maman responsable et, pour la première fois, confrontée à une telle froideur de la part d'un membre de l'éducation nationale. Je suis surprise, déçue et inquiète.
Je vous prie, Madame la Directrice, de croire en l'assurance de mes sincères et respectueux sentiments.
LES FAITS :
Lundi
2 septembre :
Dans la panique générale des enfants et parents stressés, comme d'autres je
découvre le nom de mon fils sur l'une des 3 listes accrochées au grillage
de l'entrée des CP
Je m'adresse à l'une des 3 femmes (que je suppose être les institutrices des
CP) " Bonjour Madame, est-ce vous qui faites l'appel pour la classe de Mademoiselle
Denys ? "
Sa réponse " Et bien, oui ! " d'un ton excédé, me montrant sa feuille, et
sans décrocher le moindre sourire (au moins par simple politesse) me surprend,
mais c'est la rentrée, elle a le droit, elle aussi, d'être anxieuse.
Je m'étonne donc de son accueil froid et désagréable, mais ne lui en fait
pas la remarque ; j'enchaîne et lui indique le prénom et le nom de mon fils.
Elle coche. Je m'aventure, fébrilement, à l'informer qu'entre le moment de
l'inscription de mon enfant à l'Ecole de la Tramontane (octobre 2001) et aujourd'hui,
Anthony a changé d'identité et a pris le nom de son père ; elle nous dévisage
alors, son père et moi, et demande avec un air plutôt moqueur " ah, et bien
comment s'appelle-t-il maintenant ? " je lui épelle le nom et lui dit que
je lui remettrai dès demain la copie de son nouvel état-civil. Elle acquiesce
et corrige le nom sur sa liste. Un moment plus tard, déjà refroidie par son
accueil glacial, j'hésite mais lui fais remarquer qu'elle ne nous a pas, contrairement
aux autres parents présents, posé de question quant à la cantine. Il s'avère
qu'il n'est, selon sa liste, pas prévu à la cantine. J'insiste pour qu'il
en soit autrement en lui argumentant, légitimement inquiète, qu'il en était
question lors de l'inscription avec Madame Odin. Elle acquiesce, toujours
sur la défensive, et corrige de nouveau ses notes.
Anthony, retenant toujours ses larmes depuis une petite heure, nous embrasse
et rejoint sa file dès que retentit la sonnerie. Il a le cœur gros et moi
aussi, ce n'est pas la rentrée au CP dont nous avions rêvé ! je n'ai pas retrouvé
la chaleur et la convivialité des autres années. Le soir, il sort en courant
de sa classe, comme tous les autres enfants heureux de retrouver leurs parents.
A son coucher, au moment du dernier bisous avant d'éteindre la lampe de chevet,
il m'avoue avoir peur de se perdre dans l'école et ne pas vouloir aller aux
toilettes durant la récréation, à cause des grands qui l'effraient, et de
notamment un qui s'est moqué de lui, le traitant de" gros lard ". Je l'incite
à laisser couler ses larmes, à évacuer son désarroi, le rassure " c'est normal
d'être perturbé, de pleurer, tu ne connais personne, c'est une nouvelle école…
ça va aller mieux dans quelques jours.. " et lui conseille de rester, pour
les premiers temps, à proximité d'une maîtresse et près de sa classe et surtout
de ne jamais franchir le grand portail.
Le mardi soir, à la sortie des classes, il m'indique que sa maîtresse veut
me parler. J'attends à l'écart, dans un souci de discrétion et tranquillité
qui me semble indispensable pour un premier échange, que d'autres mamans aient
terminé de discuter avec Mademoiselle Denys et m'avance enfin vers elle. "
Bonjour, vous désirez me parler ? " Elle ne répond pas à mon salut et, avec
un œil noir, m'afflige sans préambule d'un " Je ne suis pas contente, je ne
suis pas contente du tout ! " d'un ton sec, soit, mais surtout très fort et
devant tous les regards portés soudain sur nous.
Ces arguments, venant bien après ma demande à en parler plus dignement et
posément, sont tout à fait louables : Anthony ne l'écoute pas en classe, il
ne fait pas d'effort pour écrire, capitule avant de persévérer " je sais pas,
j'y arrive pas " (je l'ai également constaté), et surtout a répondu " non
" lorsqu'elle lui a ordonné de venir près de son bureau. Je lui explique alors
qu'Anthony est un enfant unique, très gâté par ses grands-parents, mais que
cela n'excuse pas ses écarts de conduite et que je suis tout à fait d'accord
à ce qu'elle sévisse. J'approuve la sévérité et l'autorité en général que
ce soit d'une institutrice, d'un professeur, d'un supérieur hiérarchique,
de l'état…, tant qu'elles sont justifiées et adaptées aux circonstances. Mais
sentant un jugement hâtif et irrévocable de la part de cette institutrice,
impulsive, je propose de lui expliquer quel genre d'enfant il est, très sensible
et surtout très introverti, ayant une image négative de lui (je suis trop
gros, je sais pas bien écrire…) depuis les vacances. Et que ce n'est que le
2ème jour !
Je lui suggère d'adopter une attitude moins catégoriquement négative, et notamment
un ton beaucoup moins sec (j'en ai fait l'expérience !), avec un enfant qui
manque d'assurance, comme Anthony qui est facilement impressionnable, car
il est très sensible (ce qui n'est pas un défaut en soi et ne devrait surtout
pas lui être reproché).
J'aurais souhaité avoir en face de moi une institutrice, une femme, davantage
ouverte et sympathique, pour développer avec elle l'aspect psychologique de
l'éducation, lui proposer d'avoir - déontologiquement parlant, tout d'abord,
humainement ensuite - un peu de patience : deux jours, une classe de 27 élèves,
c'est trop peu pour porter un jugement sur un élève, un enfant de 6 ans qui
entre à la grande école (et une grande école), mais deux jours semblent avoir
été suffisants pour qu'elle s'octroie le droit d'affirmer des à priori, voire
une antipathie avec l'un d'entre eux. Est-ce le cas ?
A ce moment là, non, je ne le pense pas encore. Je la prie de bien vouloir
m'informer, régulièrement, de l'évolution du travail de mon fils et lui explique
que je m'appuierai désormais sur ses réflexions pour punir ou pas mon fils
de ses activités extra-scolaires, selon son travail en classe. Elle semble
apprécier cette ambition et m'assure de son dévouement. Sa tâche d'institutrice
s'étendrait ainsi à contrôler le dosage de récompense et de privation dans
le quotidien général de son élève, de mon enfant. J'ai confiance en elle,
par sa profession.
Après une journée de morale faite par toute la famille, Anthony reprend, le
jeudi, le chemin de l'école, plein de bonnes résolutions. Il est inquiet mais
semble toujours enthousiaste.
Le soir, j'interroge la maîtresse qui, me souriant brièvement pour la première
fois, me dit qu'il y a quelques progrès, mais qu'il a de sérieuses lacunes
en écriture et persiste à dire " j'y arrive pas ". Nous en parlons ensemble,
je lui avoue que sa précédente maîtresse me l'a signalé et que j'ai envisagé
de consulter un spécialiste. Elle me rassure, ce n'est pas encore nécessaire,
et me missionne et conseille de faire travailler davantage l'écriture à Anthony
(sur un cahier à grandes lignes, une ardoise, un tableau…les lettres en attaché)
Depuis, tous les soirs et week-end, après ses devoirs (lecture..), Anthony
fait des lignes et des exercices (par l'intermédiaire de supports pédagogiques
adaptés à la préparation au CP). Il n'est pas toujours emballé à l'idée de
devoir écrire, c'est vrai, mais avec calme et patiente, ce qui n'est pas aisé
pour moi qui suis de nature exigeante et impatiente, je parviens tout de même
à quelques bons résultats. Perfectionniste et entière, tant dans mon travail
qu'en général, je supporte très mal un objet abîmé ou taché, un défaut, une
asymétrie quelconque et avec mon fils, je suis en permanence insatisfaite
à ce niveau, il est très maladroit et indélicat. Mais, je sais qu'il peut
faire les exercices, qu'il les comprend très bien, il l'a fait facilement
les années précédentes, en classe et lors des devoirs de vacances et c'est
en majorité encore le cas depuis le début du mois, au vu de ses cahiers d'exercice
(très mal tenus, c'est vrai) ; il pratique avec une dextérité étonnante les
jeux éducatifs sur ordinateur depuis ses 2 ans. Dans ses activités, il est
intellectuellement vif et habile, et très persévérant. Très proche de la nature
et du monde animal, il aime à se renseigner et accumule des informations en
tout genre par goût de connaissance personnelle. C'est un garçon de 6 ans
normal.
Vendredi
20 septembre : Réunion parents/institutrices
Fiévreuse et à phone, j'entre avec (mon rhume et) une autre maman dans la
classe de Mademoiselle Denys. Cette jeune femme salut la maîtresse, qui la
salue aussi, et lui demande où s'installer. Cette dernière lui indique le
bureau de son enfant et Françoise s'y installe. La maîtresse, n'ayant toujours
pas répondu à mon " Bonsoir Madame" (de faible sonorité certes, mais nettement
visible), bondit subitement vers moi et, à très haute voix et d'un ton toujours
aussi coléreux, me lance " Alors vous, le vôtre (puisqu'il s'appelle Anthony
aussi) c'est le bureau au fond, tout au fond, et si je pouvais pousser les
murs, il serait encore plus loin de ma vue, je ne sais plus quoi en faire,
il me hoooooou ! ". Stupéfaite par son agressivité et très mal à l'aise vis
à vis des autres mamans, pour certaines assez choquées d'un comportement aussi
hargneux en début de séance et un tel savoir-vivre, je choisis de prendre
sur moi, de ne rien répondre sur le fait (de plus, je n'ai plus de voix et
la salle se remplissant devient trop bruyante), je vais m'asseoir au bureau
de mon fils, sorte d'exutoire. Je retourne tout de même sur mes pas, vexée,
attristée et inquiète pour mon enfant, je lui dit la gorge doublement nouée
" si je comprend bien, je suis donc moi aussi punie et exclue " et elle de
renchérir avec arrogance " vous me posez une question, je répond ". Et enfin,
raisonnable et professionnelle comme elle se devrait d'être en permanence,
elle m'expose ses griefs à l'encontre d'Anthony, notamment son indiscipline
et son blocage, dans d'autres termes !. Il serait donc l'intrus, dans cette
classe. Pourtant, les cahiers de certains élèves sont identiques aux siens,
des erreurs d'inattention, des ratures…! Certains perdent ou oublient leur
matériel, d'autres ont aussi des difficultés d'écriture ! Il n'y aurait donc
que lui comme, je cite encore (!) " gros paresseux " !?! Peut-être l'est-il.
Mais serait-il devenu idiot et méchant, en 3 semaines ?
Je me suis renseignée, depuis plusieurs jours déjà, par l'intermédiaire d'autres
mamans qui ont, spontanément et devant moi, questionné leurs enfants quant
à un éventuel comportement si " spécial " d'Anthony qu'il soit insurmontable
et insupportable pour la classe en général et la maîtresse en particulier.
Tous les enfants interrogés n'ont rien eu de spécial à m'apprendre sur lui,
hormis du fait qu'à la cantine il mange beaucoup et vite et termine les desserts
de ceux qui n'en veulent plus, qu'au début il restait tout seul pendant la
récréation et qu'il avait l'air de bouder, et qu'il voulait toujours aller
aux toilettes pendant la classe. Qu'il a été puni, l'autre jour, comme " x
" et " y ". Ils en avaient davantage à raconter sur les turbulences d'autres,
des petites histoires bien mignonnes et " normales ".
Pourtant, la semaine dernière, une maman m'a interpellé " ma fille a des problèmes
avec votre fils, il l'a agressée et menacé ". Allons bon ! Il lui a piqué
le coude avec un crayon car elle insistait pour se poser à cheval sur les
deux bureaux. Voilà pour l'agression, quant aux menaces, il lui aurait promis
de l'étrangler. Je ne souhaite pas nier les faits, quoique je suis certaine
qu'il n'ait pas employé le mot " étranglé " : ce n'est pas dans notre vocabulaire,
il connaît un bon nombre de gros mots, c'est vrai et déplorable, mais nous
entendons tous bien pire que cela dans la cours le matin et le soir, des insultes,
des menaces, et assistons à des altercations violentes et rancunières, c'est
un monde d'enfants du XXIème siècle ! De toute manière, dans le cas de ces
deux bambins de 6 ans, c'est une " attaque " ou une défense non réfléchie,
comme un adolescent ou un adulte peut l'entendre, sans conséquence et certainement
pas à prendre au sérieux ; il en est de même pour les moqueries qu'Anthony
a subit à plusieurs reprises sur notre nom de famille (dans sa classe et peut-être
de la bouche, entre autre, de cette charmante petite fille) ou sur son excédent
de poids, en récréation et à la cantine. Sur le moment, j'ai accueilli ironiquement
les propos de cette douce et courtoise maman, mais ridiculement affolée, puis,
je l'ai envié de n'avoir aucun autre problème dans son quotidien pour s'attarder
sur une broutille, en regrettant tout de même qu'elle se soucie si peu de
son prochain (inondations dans l'ouest, famines et guerres dans le monde,
menaces terroristes et écologiques…). Mais finalement, avec le recul, je me
dis que sa vie doit être bien vide. J'ai tout de même questionné et grondé
mon fils (pour la forme que je désapprouve, c'est vrai que ce n'est pas très
gentil et galant de piquer ou pincer), devant la jolie fillette (pour l'exemple
et la rassurer) lui disant d'en faire autant la prochaine fois, si elle n'a
rien à se reprocher, ou de l'ignorer en lui souriant (la maman a semblé approuvé
cette philosophie pacifiste et féministe). J'ai fait promettre à mon fils
d'être plus correct avec ses camarades, même avec ceux qui, sournois, ne le
sont pas avec lui, d'être vigilent mais de ne pas répondre aux attaques. Je
lui ai expliqué que c'est ainsi que l'on grandit vraiment, en pardonnant.
Anthony, depuis ses premiers pas en garderie collective a toujours été tapis
dans son coin, les assistantes maternelles puis les maîtresses successives
m'ont souvent relaté son manque d'assurance et sa timidité et elles m'ont
mise en garde sur son introversion et son manque de répondant. Quelquefois,
il rentrait de l'école, les vêtements déchirés, avec des bleus ou des écorchures
et souvent plus blessé par les moqueries que les gestes brusques pendant la
récré. Je ne suis jamais allée pleurnicher vers les parents, ni les maîtresses,
pour ce genre de petits bobos, il y a des événements bien plus importants
dans la vie et… mon fils, comme tout un chacun, en connaîtra, bien d'autres
et bien plus graves. Depuis la rentrée, il s'est fait bousculé, insulté, écrasé
son goûter, éclaboussé... Je sais qu'il ne se défend pas, c'est son choix,
sa nature, je refuse de m'en mêler, c'est l'apprentissage de la vie. Cela
me fait mal de le savoir bouleversé par le manque d'intérêt et d'affection
de sa maîtresse, la pression à surmonter ses peurs, son angoisse de ne pas
satisfaire, sa colère, mais pourtant je me retiens de le surprotéger, de le
défendre à tous prix au moindre incident, ridicule soit-il, et lui explique
que la vie et faite de hauts et de bas, qu'il faut s'accommoder de tout et
de tous et ne jamais confondre ni confronter le bien et le mal.
Il est
grand …et gros, mais c'est encore un petit enfant, qui plus est, très sensible,
émotif et pacifiste. Encore une fois, c'est un handicap pour l'avenir, mais
pas un défaut, s'il a du cœur.
Il a la chance de beaucoup voyager, de visiter des monuments historiques,
des musées, des expositions… il est de nature très (trop !) curieuse et aime
savoir, comprendre. Il a une excellente mémoire qui n'a jamais manqué de surprendre
la majorité des adultes qui l'ont côtoyé, tant dans le milieu scolaire que
médical. Nous avons toujours exploité cette capacité et nous en sommes beaucoup
diverti, avons des myriades de souvenirs drôles et surprenants. Il a des qualités,
comme tout autre élève, c'est un enfant normal évoluant aussi dans un contexte
familial privilégié, il n'est pas différent de ses camarades, juste émotif.
En tant qu'ancienne élève de l'établissement Notre Dame de la Tramontane (de
la première année de maternelle en 1968 jusqu'en fin de 5ème) et ayant gardé,
mes parents et moi, d'excellents souvenirs d'éducation et de chaleur humaine
de ma scolarité, nous avons tous vivement souhaité qu'Anthony ait cette même
chance. Alors, pour " attaquer les choses sérieuses " j'ai été ravie que nous
puissions lui offrir l'accès, le " plus ", d'entamer sa scolarité dans une
école réputée et d'y évoluer, protégé des abus et des mésactions de la jeunesse
délinquante. J'étais persuadé qu'il allait pouvoir bénéficier du meilleur
tant pour l'apprentissage de qualité supérieure, l'éducation civique et religieuse…
que de chaleur humaine, de justice et de respect, c'est du moins ce que je
croyais.
Or, je suis très déçue et inquiète par le comportement de la maîtresse d'Anthony.
Malgré l'extrême diplomatie dont j'ai su faire preuve, Mademoiselle Denys
n'est décidément pas souriante, finalement peu polie (peut-être par timidité)
et extrêmement glaciale. Certes, sa réputation a devancé notre premier contact,
mais j'ai fait preuve d'objectivité et nous ai laissé une chance de contredire
les médisances à son sujet, malgré des exemples concrets. Je préfère faire
confiance à mes impressions. Je me suis dit que les apparences peuvent être
parfois trompeuses et que derrière une carapace endurcie se cache souvent
un cœur fragile qui se dévoile prudemment. C'est un cas répandu, on peut parfois
sembler inaccessible car on se protège. Mais, elle n'est vraiment pas aimable
et de toute évidence absolument pas psychologue, ni avec les adultes, ni avec
les enfants, ce qui me semble plutôt incompatible avec sa fonction d'enseignante,
de surcroît avec le besoin d'amour, de repères, de sécurité dont ont besoin
les enfants en bas âge (la 6ème année conjuguée avec le CP étant un tournant
indéniablement important dans la vie d'un enfant). Quant à ses nombreuses
compétences " techniquement " pédagogiques, les échos lui sont très favorables
et je suis ravie d'avoir pu constater ses réelles aptitudes et sa persévérance,
en seconde partie de notre premier entretien. C'est le principal, soit.
Lors de
cette réunion d'information, après s'être attardée sur ses conditions de travail
comme la chaleur, le maintient d'une classe surchargée, les sorties…la répétition,
l'attention, la disponibilité : le 100 % impossible x 27…les choix qu'elle
doit faire pour avancer dans le programme, puis, les petits travaux supplémentaires
à faire à la maison, comme découper des étiquettes x 27, une des charges qui
lui apparaît pesante puisqu'elle clame ironiquement avoir " aussi une vie
après l'école " (personne n'avait dit la contraire, une maman s'est même proposée
pour la décharger de ces divers fardeaux), elle nous explique enfin la méthode
d'apprentissage (prononciation de l'alphabet, sens de lecture, mathématiques…).
C'est parfait, j'ai obtenu, sans intervenir vous pensez-bien, toutes les réponses
aux questions " techniques " que je me posais et je suis très satisfaite de
ses informations, conseils et astuces indispensables pour l'aider dans ses
devoirs et éviter les erreurs d'apprentissage. Mais, c'est seulement ce soir
là, après qu'elle nous ait rappelé que l'on peut (la maîtresse et les parents)
utiliser le cahier de liaison pour faire nos remarques respectives et que
" s'il n'y a rien d'écrit, c'est qu'il n'y a rien, que tout va à peu près
bien " (c'est notre cas, à part un " travailler davantage l'écriture ", il
n'y a rien), que j'ai constaté à quel point leur relation s'était dégradée,
par ses sous-entendus et son argumentation quant aux élèves qui présentent
un comportement qu'elle refuse (car elle n'est pas en mesure de le déceler
comme un trouble, un mal-être). En outre, il n'y a qu'avec moi qu'elle s'adresse
publiquement aussi agressivement, et j'ignore pourquoi. Cela m'a permis, par
accumulation de détails soudain évidents et parce que (du fond de la classe
!) je n'ai eu de cesse de l'observer, l'écouter et prendre des notes (c'est
mon métier !), de parvenir à une conclusion que je regrette. Elle ne l'aime
pas et c'est comme ça. Cela peut arriver, c'est physique, parfois sans raison.
D'autres mamans m'ont relaté des propos " malhabiles " pour ne pas dire désobligeants,
qu'elle a eu envers leurs enfants, cette année, comme les précédentes, mais
je n'ai constaté, pour le moment, un débordement d'irritabilité, consciente
ou inconsciente, qu'avec moi et elle ne pointe du doigt, publiquement, qu'Anthony.
De plus, au vu de ses regards, réflexions et points de vue, j'en déduis clairement
qu'elle ne pourra jamais lui accorder la moindre chance de lui prouver ses
réelles capacités, ni qu'elle puisse lui ouvrir son cœur (autant qu'il soit
possible) et par conséquent, que lui (car ses émotions comptent autant) ne
parviendra plus jamais à lui faire confiance. Ce sont des caractères diamétralement
opposés, mais si l'élève doit s'adapter aux règles pédagogiques, l'enseignante
doit être " adaptable " aussi aux différents types d'enfants. Il se ferme
jours après jours et c'est affligeant pour lui et moi d'être piégés ainsi.
Il ressent une grande animosité de sa part, il le lui exprime à sa manière
: il se ferme et (se révolte croit-elle) se défend, se protège maladroitement.
Il est condamné d'avance et il le sait. En dehors de la classe, il éclate
en sanglots, il peut enfin exprimer et affirmer sa peine. Son sommeil est
agité et il se réveille à l'aube ; il a mal au ventre dès que l'on franchit
le portail, le matin. Ceci ne lui est jamais arrivé. Il n'est pas le seul
enfant à être bouleversé par " la grande école " et c'est incontournable,
mais il est parfois indispensable d'apaiser cette étape transitoire lorsqu'elle
est mal vécue au lieu de l'amplifier. Bien qu'il n'ai jamais été un enfant
" modèle " (mais selon quels critères ? doit-il être un clone, un robot qui
atteint les objectifs sans faire preuve de personnalité, sans plaisir, sans
imagination, une poupée qui dit oui… ? ça, ça séduirait plus d'une institutrice
installée dans une froideur stéréotype de fonctionnaire). Il m'a toujours
raconté ses journées d'école (la maîtresse, le travail effectué, les anecdotes,
les éventuelles mises au piquet, les copains…), mais désormais tout a changé.
Aujourd'hui, il ne me parle que de Sœur Raymonde, très chaleureusement, et
d'une autre maîtresse de CP (je ne sais pas écrire son nom). Au judo, il est
calme, attentif, enthousiaste.
Qui ne tient pas sa place, son rôle correctement ? Qui doit s'améliorer, combler
une lacune, s'efforcer d'ouvrir son cœur, se remettre en question ?
Nous allons consulter une psychologue pour enfant dès mercredi prochain afin
de déterminer les dégâts de cette rentrée " ratée " et d'évaluer son niveau
de colère, de déception, de mal-être envers sa maîtresse. L'appréhension d'aller
en classe, son refus d'obtempérer aux ordres de sa maîtresse par désarroi
et dépit seront abordés dès la première visite. Envisager dans quelle mesure
son acceptation ou son refus du mépris que lui porte Mademoiselle Denys risquent
d'altérer sa scolarité. C'est le CP ! c'est important d'y remédier rapidement.
Je suis plutôt de ceux qui connaissent leurs devoirs bien avant leurs droits. J'ai des principes. J'observe, j'analyse et synthétise avant d'agir. Je supporte mal que l'on puisse juger par empressement, légèreté, tempérament impulsif, orgueil ou incapacité de discernement. La réflexion est source de solution, c'est mathématique !
Je ne suis pas non plus de ces parents qui se persuadent que leur enfant est le meilleur, le plus beau…, J'ai d'ailleurs le tort d'affliger continuellement mon enfant de reproches en tout genre et mises en garde, j'ai le sentiment de dépasser quelquefois les bornes après qu'il ait été blessé par mon emportement excessif, mais je suis majoritairement juste et logique. Une grande partie de mon entourage me reproche de lui en demander trop, de trop le solliciter, de rechercher une perfection qui n'existe pas. Je veux le meilleur pour lui et de lui. D'autres n'ont pas les mêmes principes, la même conception de l'éducation ni d'objectif pour lui, mais je persiste dans ma voix, bien qu'il sache user et abuser de leur nonchalance, modération, et c'est la porte ouverte à bien des dérapages. Je ne peux pas exclure de sa vie les influences qui ne conviennent pas, il y a aussi les camarades, la télé, la radio...
Donc, je sais qu'il peut dire des gros mots, répondre, refuser de se plier aux ordres, être irritable, susceptible, agité. Ce n'est pas sa nature, son tempérament, une attitude régulière, dieu merci, c'est une partie de lui, mais pourquoi nier, refuser l'autre coté, le bon.
Je suis
convaincue qu'il n'est pas un cas unique, mais pourquoi l'avoir abordé ainsi,
dès les premières heures. Si j'ai choisi Notre Dame de la Tramontane, c'est
justement pour que la scolarité de mon enfant soit en corrélation avec mes
principes, donc, je n'ai aucune raison de m'étonner ou me plaindre de sévérité.
Mais, je souhaite seulement comprendre pourquoi cette institutrice se comporte
aussi agressivement avec moi, avoue ouvertement " ne pas avoir de temps à
perdre avec des enfants qui restent plantés au tableau la bouche ouverte et
répètent qu'ils ne savent pas ". Ce n'est certainement pas anodin et c'est
son devoir de s'en inquiéter, de s'y intéresser. A aucun moment, je n'ai ressenti
la moindre passion pour son métier ni un semblant d'amour pour les enfants.
Pendant une heure, elle n'a exprimé, avec un humour narquois, que les inconvénients
de son métier et les défauts des enfants. Certes, cette classe ne ressemble
pas à un goulag, loin de là, rien d'alarmant dans les moyens qu'elle choisit
d'employer pour " gérer " sa classe et elle a bien raison. Mais jamais rien
de positif, d'attendrissant, aucun compliment. C'est tristement inconvenant
de parler ainsi de nos enfants. Aucun amour ne se dégage de ses mots, ni ne
se lit dans ses yeux. Elle n'a pas le temps, ce n'est pas sa nature ? Pourtant,
il y a de nombreuses enseignantes ou employées dans le milieu de l'enfance
qui sont compétentes tout en étant agréables, certaines sont même adorables
(et obtiennent ainsi de bien meilleurs résultats), ont toujours un sourire
rassurant et un regard ou un geste affectif (même avec des classes surchargées
et tout en conservant " leur vie privée" intacte), d'autres sont peu démonstratrices,
mais justes et professionnelles et il y a des fonctionnaires acariâtres, aigries
ou complexées, et c'est dommageable.
Dans tous les cas, elles sont inoubliables, gentilles ou pas : Ironie du sort
!
L'éducation va de paire avec l'affection, l'apprentissage va de paire avec la courtoisie, c'est une méthode qui fonctionne dans bien des domaines, pour les petits comme pour les grands. Même si l'on a été élevé dans cette atmosphère froide, même si on a souffert de solitude, été privé d'attention, de tendresse, de repères, que l'on nous ait donné une mauvaise opinion de soi, que l'on soit malchanceux, complexé ou se sente persécuté : on peut, on doit y remédier en étant plus généreux : apprendre à aimer. Aimer, c'est bon pour soi aussi. C'est difficile et long, s'aimer d'abord et se laisser le droit d'être aimé. J'en fais l'expérience tous les jours et j'en suis fière et comblée. A qui le tour ?