Les sucriers font pression sur l'OMS
La publication d'un
rapport conjoint de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l'Organisation
pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) qui insiste sur les risques pour
la santé liés à une alimentation trop riche en sucre et en graisse a provoqué
des réactions très vives de la part des grandes firmes agroalimentaires.
Ces dernières craignent de pâtir de la mise en œuvre d'une stratégie mondiale
en faveur d'une alimentation plus saine et plus diététique.
Elles ont même mis en cause les fondements scientifiques de l'étude des deux
agences et exercé des pressions pour empêcher sa diffusion.
Maladies cardiovasculaires,
cancers, diabète, ostéoporose, affections bucco-dentaires, et surtout obésité,
le nombre de personnes atteintes de ces maladies chroniques ne cesse de croître
dans les pays riches mais aussi dans les pays en développement.
En 2001, les maladies chroniques ont ainsi provoqué 59 % des 56,5 millions
de décès enregistrés dans le monde. Cette augmentation est en grande partie
liée à des habitudes alimentaires qui font la part belle à toutes les graisses,
au sucre et au sel mais négligent le fruits et les légumes.
C'est ce que l'OMS et la FAO ont tenu à mettre en avant en publiant les résultats
d'une étude réalisée par un groupe d'une soixantaine d'experts. Comme l'a
rappelé Gro Harlem Brundtland, la directrice générale de l'OMS, "nous savons
depuis longtemps qu'une alimentation riche en graisses saturées, en sucre
et en sel est mauvaise pour la santé".
Mais aujourd'hui, il semble que l'on
soit entré dans une phase proche de l'urgence sanitaire.
On dénombre, en effet, un milliard d'individus dans le monde qui souffrent
d'obésité ou de surcharge pondérale.
Aux Etats-Unis, par exemple, la situation est particulièrement préoccupante
car plus de la moitié des adultes (97 millions de personnes) sont trop gros.
Et ce phénomène touche aujourd'hui dans le pays deux fois plus d'individus
qu'il y a trente ans.
En une seule année, le pourcentage d'obèse a même fait un bond de 5,6 %. Cette
situation coûte cher. La prise en charge des obèses, qui souffrent plus que
les autres de maladies cardiovasculaires notamment, a un coût très important.
Le président George W. Bush a d'ailleurs lui-même fait part, l'année dernière,
de sa préoccupation face à ce phénomène et a incité les Américains à maigrir.
Bannir les sodas et les hamburgers Dans un tel contexte, le rapport de l'OMS
et de la FAO vient apporter de l'eau au moulin des adeptes d'une alimentation
qui mettrait les hamburgers, sodas, glaces et autres délices saturées en sucres
et en graisses au rang des plaisirs très exceptionnels. Dans une alimentation
idéale, les glucides devraient se tailler la part du lion en représentant
entre 55 et 75 % de l'apport énergétique quotidien. Les protéines devraient
atteindre 10 à 15 %. Les lipides ne devraient, par contre, pas représenter
plus de 15 à 30 % et les graisses saturées plus de 10 %. La consommation de
sel devrait être inférieure à 5 grammes par jour, alors que la part des fruits
et des légumes devrait passer à au moins 400 grammes.
Pour être vraiment en bonne santé, il faut ajouter à ce régime optimal un
soupçon d'exercice physique quotidien.Les résultats de cette étude devraient
aboutir à la proposition d'une stratégie mondiale de lutte contre les maladies
chroniques d'ici 2004.
Et cette perspective n'est pas du tout du goût des géants américains du secteur
agroalimentaire (Coca-Cola, General Food, Procter and Gamble) regroupés dans
un groupe de pression la Sugar Association, qui ont déjà fait l'objet d'un
certain nombre d'attaques aux Etats-Unis et sont en train de se retrouver
dans une situation très proche de celle des fabricants de cigarettes.
Des consommateurs devenus obèses ont ainsi attaqué, en 2002, les chaînes de
fast-food (McDonald's, Burger King, Kentucky Fried Chicken) auxquelles ils
reprochent de ne pas avoir diffusé une information suffisante sur les risques
qu'il y avait à consommer cette nourriture et ont ainsi mis leur santé en
danger.
Les recommandations
de l'OMS et de la FAO pourraient relancer les velléités de procès et coûter
cher en dédommagement. Mais elles pourraient aussi avoir un impact économique
direct si elles persuadent les gens d'adopter une alimentation plus saine
et de bouder les produits gras et sucrés.
D'ailleurs, la Sugar Association n'a pas attendu pour contre-attaquer.
Elle a exercé des pressions sur l'OMS pour essayer d'obtenir le retrait du
document en invoquant le fait qu'il n'était pas scientifiquement fiable et
que l'impact de la consommation de sucre sur l'obésité et les affections bucco-dentaires
n'était pas prouvé.
Mais elle n'a pas obtenu satisfaction malgré l'intervention directe de l'ambassadeur
américain à la FAO qui a pris le parti des sucriers en estimant que "le rapport
ne parvient pas à présenter un corpus complet de preuves et de conclusions
rigoureuses nécessaires pour servir de base à une politique de recommandations
de l'OMS et de la FAO".
Le lobby du sucre aurait même fait peser sur les deux organisations une menace
de poids : celle d'obtenir la suspension des subventions américaines de 400
millions de dollars annuels allouées à l'OMS.