Papi Bilou pète un boulon !

Mon Papi Bilou, le papa de papa ne va pas bien dans sa tête, il n'a pas de vraie maladie, pas de soucis de quotidien, rien... mais il est en dépression parce qu'il s'ennuie depuis cet automne qu'il est à la retraite.
Il se croit inutile alors qu'on a besoin de lui... et il a décidé de se laisser aller.

J'en connais pourtant plus d'un qui voudraient être tranquile à sa place, il a toute sa famille autour de lui, ses deux parents en vie, une maison de vacances, il n'a pas de cancer ou de grave problème de santé , il n'est pas financièrement en risque, il a élevé ses enfants... il a une femme aimante et dévouée, des fils et belles-filles qui le respectent et l'admirent...
et un petit-fils qui l'adore...

Tout va bien, comme toujours, rien de spécial, de concretement négatif, ni même de triste... seulement qu'il a changé de rythme et qu'il croit ne pas savoir comment s'occuper, il a toujours fuit la réalité des années qui passent et n'a donc rien prévu pour la retraite... mais qui y pense !?!
Il est pourtant un excellent bricoleur et on fait toujours appel à ses multiples talents pour la moindre réparation ou installation, on l'appelle "Monsieur Darty" parce que c'est vite et bien fait ! (et pas cher !)
Il n'est pas condamné par la maladie, ni à la rue... mais il se plaint, il a le moral à zéro, il est très morose et devient invivable ; en fait il appelle au secours...il ne dort plus parce qu'il s'imagine des improbabilités sans fondement et il a des crises d'angoisse, envisage le pire...
Très vite, il perd ses forces et devient "vraiment" malade, car il est nerveusement fatigué et doit être aidé médicalement et psychologiquement.

Si au début c'était de son fait, c'est maintenant plus fort que lui, c'est incontrolable. Le cerveau est une machine très fragile et complexe. Nul n'est à l'abri d'un dérèglement occasionnel. On est tous plus ou moins névrosés ou psychotiques, c'est humain, mais quelquefois, ça coince un peu trop.

Ca semble dingue qu'il se créé d'hypothétiques malheurs et panique toute sa famille ainsi, alors qu'il y en a d'autres qui accumulent les décés de proches, les soucis professionnels, les responsabilités lourdes à supporter, la maladie en silence et dans l'angoisse, les soucis et mal-être de leurs enfants...
souvent depuis des années et sans jamais s'être plaint.
Cela paraît ridicule et injuste, mais il ne faut pas juger trop vite !

On m'interdit d'aller le voir, tata Céline qui vient de passer une semaine avec lui et nous a raconté à quel point il dépérit vite et change, elle insiste : "il a mauvaise mine, il est méconnaissable et on ne sait pas comment il peut réagir. Il pourrait le rejeter ou dire des choses pessimistes et trop négatives qui pourraient le choquer et le faire pleurer".
En tout cas, c'est trop bizarre pour un enfant de 7 ans. Elle a raison.

Papi Bilou est redevenu malade comme il y a 8 ans, à la même époque de fêtes de fin d'années, quand son associé de 10 ans son ainé a pris sa retraite. Il s'est alors dit surpris et n'a pas supporté cet état de cause pourtant annoncé depuis leur 27 ans de travail commun, une échéance programmée qu'il a pris pour une trahison... un simple grain de sable dans le rouage de son quotidien exagérément routinier et structuré. Il a laissé tomber son affaire artisanale et s'est laissé aller, alors qu'il n'y avait aucun autre soucis que de poursuivre logiquement sans son associé en retraite, absolument rien de sensationnel, juste quelques paperasses en retard à signer... !
Mais en quelques jours, il a sombré... perdu le sommeil et l'appétit...
Il a alors dû être hospitalisé pendant plus d'un mois en maison de repos, il a même fallu lui cacher ma future naissance !

Aujourd'hui encore, il amplifie démeusurément ce qui n'est qu'un minime changement (programmé !) dans sa vie trop routinière et il a décidé (dans sa tête, par pour y faire exprès) d'en faire le centre du monde. Il s'en rend malade. C'est vrai que c'est pas évident de se retrouver sans raison professionnelle de se lever le matin (quoique ça me plairait bien à moi !) mais il oublie qu'il y a des tas de choses à faire dans notre belle région, et il y a sa famille, il peut aller à la pêche avec ses fils, donner un coup de main à sa femme, dans la résidence, se ballader, bricoler... simplement faire comme quand il est en vacances ou en week-end. Mais il n'accepte pas ce changement. Comme pour des millions d'hommes de son âge. Comme mon autre Papi, Dédé, la retraite aussi ça a été un drôle de changement de rythme, mais lui, il a travaillé pendant 40 ans, 7 jours sur 7 et 18 heures par jour... pas de vacances à Noël, en été, pas de pont etc... alors la retraite, il l'attendait avec impatience ! Bien sûr, il a eu aussi des moments de blues, mais il y a tant de choses qu'il n'avait pas vues ou faites durant sa carrière, que tout était à découvrir et il y a moi, il me laisse prendre de la place dans son emploi du temps et les jours passent... parfois aussi, il se sent "mis à l'écart".
Mais la dépression, c'est surtout une question de tempérement... et pour Papi Bilou, c'est aussi la combinaison de plusieurs facteurs : il n'a plus 20 ans bien qu'il soit en pleine santé (ni cholestérol, ni hypertension, des os solides...), la saison hivernale, l'orgueil masculin, l'image de soi surtout...
Il aurait pu décider de travailler ailleurs, mais il ne supporte pas d'être commandé par des jeunes (souvents novices dans le métier) alors qu'il a toujours été son propre patron. S'il avait beaucoup d'ambition, il se remettrait à son compte (ou n'aurait jamais cessé de l'être)... et si et si... chacun ses capacités, chacun ses limites... tout homme a sa personnalité, ses raisons...

Si cette dépression a commençé par un manque de volonté, une baisse de moral, une fatigue passagère, l'envie d'être materné, l'égocentricité... l'autosuggestion s'est transformée en obsession, en état second, en paranoïa...
Tout ce qui est dans la tête ne s'explique pas toujours, mais qu'est ce que c'est déroutant, surprenant de voir cet homme robuste et téméraire sombrer ainsi dans la faiblesse et la peur de tout. Tous sont attérés de le voir ainsi, ça ne lui ressemble tellement pas !

En tout cas, mon Papi Bilou est soigné ! des docteurs vont réparer sa tête et j'espère qu'on nous le rendra comme il était avant très bientôt : toujours en colère et plein d'idées, celui qu'on connait tous, notre râleur qu'on aime tant !

Courage Papi Bilou, on pense à toi, on t'aime très fort !